FIMAV #33 – Jour 3
Un texte de Éloïse Lara Desrochers et Sophie Dufour-Beauséjour
Crédit photo : Martin Morissette
13h / Battle Trance
Porteur d’un étrange nom qui décrit pourtant à merveille leur musique, Battle Trance nous a prises au dépourvu. Ce quatuor est composé des saxophonistes Travis Laplante, Anna Webber, Patrick Breiner et Matthew Nelson. Leur musique évoque l’imaginaire guerrier avec une telle clarté qu’on en dirait un film. On y entend la trépidation des cris de ralliement avant la bataille et des flèches qui sifflent.
Loin de s’en tenir à la violence bruyante, le quatuor évoque aussi le calme anxieux sur les barques avant le contact, le deuil au rivage et la tristesse vide de sens. Le spectacle se termine par une bonne minute de silence chargé, malgré tout trop courte pour laisser complètement tomber la poussière d’une performance hautement figurative. Encore une fois, un excellent choix de programmation pour la scène de l’église Saint-Christophe Arthabaska.
15h / Nate Wooley «Seven Storey Mountain V»
Le trompettiste et compositeur américain Nate Wooley en était à sa première prestation au Festival de Musique de Actuelle de Victoriaville et il n’a pas fait les choses à moitié. C’est avec avec 18 musiciens qu’il est débarqué sur la scène du Colisée. Imposante formation composée de l’octuor de cuivre TILT Brass Octet et de 11 improvisateurs allant de la batterie au vibraphone. En première partie, Wooley a présenté une composition d’une dizaine de minutes par l’ensemble TILT. La pièce a mis la table à merveille pour le programme principal.
« Sevens Storey Mountain V » s’est ouvert tranquillement sur une bande préenregistrée de bruits domestiques passant notamment par un bruit de sécheuse. La solidité des musiciens et la superposition de genres musicaux nous a plongé dans l’état extatique recherché par Nate Wooley. Les deux vibraphones (Patricia Franceschy, Chris Dingman) qui se répondaient, les deux batteries (Ben Hall, Ryan Sawyer) qui soutenaient le rythme de façon effrénée et l’entrée en scène du tuba (Ben Stapp) sont au nombre des éléments musicaux qui ont marqué l’auditoire.
17h / Novi_sad «IIC»
On savait un peu à quoi s’attendre en voyant les bouchons déposés à l’entrée du spectacle de Novi_sad au Colisée B, surtout informées par la rumeur qui avait suivi le test de son : ça va être fort. Pour pouvoir faire littéralement vibrer l’auditoire, pas le choix de pousser le volume au-delà d’un niveau sécuritaire pour les oreilles – d’où la chaleureuse recommandation de se ramasser des bouchons. Et le jeu en valait assurément la chandelle.
Thanasis Kaproulias a présenté une oeuvre bruitiste d’une demi-heure en trois temps. La musique composée de drone recouvert de crépitements était accompagnée par de superbes vidéos de chutes, rivières et océans en mouvement, parfois subtilement ralentis ou rehaussés. Intitulée «IIC» pour International Internal Catastrophes, l’oeuvre opprime l’auditoire et le place dans une situation de grande vulnérabilité physique où on comprend bien cette ligne projetée pendant le spectacle : «Everything alive deserves mercy». Il est rare que l’on puisse ressentir aussi fortement le silence comme un état physique, et c’est ce qu’a réussi avec brio Kaproulias.
20h / Gunda Gottschalk, Ute Völker «Sky and Grassland»
L’union des chanteuses mongoles Badamkhorol Samdandamba, Badamkhand Samdandamba et Bat-Otgon Samdandamba avec les deux improvisatrices Gunda Gottschalk et Ute Völker était l’un des spectacles qui nous intriguait le plus. On se demandait comment ces deux mondes pourraient être combinés en une musique nouvelle tout en conservant l’authenticité du chant long mongol classé patrimoine mondiale par l’UNESCO. On note que le public était le plus diversifié du festival jusqu’à présent, avec beaucoup de victoriavillois. L’exotisme des chanteuses mongoles y était certainement pour quelque chose. Si l’intention était de superposer l’univers des chants mongols à celui de la musique des deux improvisatrices allemande, c’était plutôt bien réussi. On aurait pourtant pris moins de changements de formation – toutes les combinaisons possibles des cinq artistes se sont produites – et plus d’écoute et de réciprocité. Il y a tout de même eu de beaux moments qui nous ont été offerts, en particulier lorsque la violoniste Gunda Gottschalk a ajouté sa voix à celle de la chanteuse mongole lors d’un duo dans lequel on a senti pour la première fois un réel échange entre les deux univers présents sur scène.
22h / Terry Riley, Gyan Riley
On l’avait prédit, ce concert de Terry Riley et son fils Gyan Riley avait le potentiel de nous transporter au-delà du réel. C’est chose faite, et vos chroniqueuses ne sont pas encore redescendues de leur nuage. Lors d’un duo avec le guitariste Julian Lage présenté l’an dernier dans le cadre des Bagatelles de John Zorn, Gyan Riley nous avait déjà conquises non seulement par son talent, mais aussi et surtout par le plaisir contagieux qu’il montre à jouer de la musique. On s’attendait donc à ce que ce plaisir soit doublé avec la présence de son père, légende de la musique minimaliste.
Père et fils ont partagé un premier regard complice et jovial avant de se lancer – le ton était donné pour le grand moment auquel nous avons eu le bonheur d’assister. Les deux hommes ont une approche musicale plutôt ludique et n’ont pas besoin de nous envoyer leur prouesses musicale au visage pour que l’on saisisse toute l’étendue de leur talent. Au contraire, entre les deux, c’est la simplicité et le bonheur de jouer qui prime. Et ça fonctionne particulièrement bien! Entamant sa prestation par des chants très fortement inspirés des râgas indiens, Terry Riley nous a rapidement plongés dans un espace temporel suspendu, où notre esprit avait la liberté de se laisser bercer doucement au gré des notes portées à nos oreilles.
Le temps s’est en effet arrêté dans le Colisée Desjardins pendant l’heure et demie que nous ont offert le père et le fils. On aurait passé la nuit à regarder les musiciens explorer leur émouvante complicité. Se déplaçant entre le chant, le piano, le mélodica ou même un ipod sur lequel il contrôlait des sons, Terry Riley, âgé de 81 ans, joue avec la musique d’une façon remarquablement inspirante, nous ramenant ainsi à la source d’une musique à la fois décomplexée et vivante.
Minuit / Maja Osojnik «All.The.Terms.We.Are.»
Le FIMAV a bien rempli sa promesse d’une découverte assurée avec «All.The.Terms.We.Are» de Maja Osojnik et son band. À preuve, le public de minuit est demeuré attentif malgré la fatigue de cette journée-marathon à six spectacles. Le coeur du spectacle se retrouvait dans les morceaux à l’inspiration jazz assumée, où l’ambiance sombre et sensuelle des compositions était sublimée par des attaques techniques irréprochables.
Difficile de détourner le regard de la violoncelliste Audrey Chen dont la performance vocale – cliquetis, bruits de succion et râles – était renversante de précision. Notons aussi le jeu minutieux et complexe de Lukas König à la batterie. Après avoir vu le projet de Osojnik dans cette formule étendue, avec en plus Manfred Engelmayr à la guitare électrique, Manu Mayer à la basse électrique, Matija Schellander à la contrebasse et au synthétiseur et Christina Bauer à la sonorisation, il est impressionnant de se rappeler que le matériel de base est le fruit du travail en solo de la compositrice.
À lire pour en découvrir plus : FIMAV #33 – Jour 2