Quatre titres pour prolonger les festivités de la Saint-Valentin

Comme à l’habitude, la Saint-Valentin aura été l’occasion pour de nombreuses personnes de manifester leur amour à un être cher. Si les chocolats et les fleurs font toujours plaisir pour l’occasion, pourquoi ne pas (s’)offrir cette année quelques lectures pour en apprendre plus sur le sujet? Voici donc quatre titres sur ce thème pour prolonger les festivités de la Saint-Valentin au cours des prochaines semaines ou, à tout le moins, réfléchir sur notre rapport à la sexualité et à l’amour.
Le journaliste Jean-Sébastien Marsan nous propose, dans ce premier tome d’une série consacrée à l’histoire de l’amour au Québec, toute une série d’anecdotes et d’histoires sur les relations amoureuses des débuts de la colonie à la chute de la Nouvelle-France. On y découvre ainsi, dans le premier chapitre, le rôle politique que peut prendre l’amour, celui-ci étant tantôt instrumentalisé pour assimiler les amérindiens par le mariage, tantôt utilisé pour retenir soldats et engagés dans la colonie.
Le second chapitre nous permet de départager le vrai du faux de la sexualité, de l’amour et des rapports de genre chez les autochtones. Ceux-ci diffèrent de ceux des Occidentaux qui les observent avec curiosité, envie et perplexité. Ces derniers font au demeurant l’objet du chapitre suivant. Marsan y explore les jeux de séduction, les questions de viol, l’inceste, l’importante différence d’âge qui pouvaient exister au sein des couples, le rôle des contrats de mariage et bien plus encore. Il le fait toujours avec le même souci d’intéresser le lecteur à son propos en y allant d’anecdotes sur Frontenac, madame Bégon, Hélène de Champlain et bien d’autres figures moins connues de notre histoire dont la vie s’avère intéressante. Enfin, le dernier chapitre lui donne l’occasion d’explorer les marges de la sexualité et de l’amour sous le Régime français en se penchant sur les maitresses des puissants de la colonie, la sexualité des esclaves, l’homosexualité et le travestissement.
Après avoir exploré l’histoire de l’amour sous le régime français, Jean-Sébastien Marsan nous revient avec un second tome se penchant cette fois-ci sur la question des années 1760 à 1860. On y découvre les enjeux que vont poser l’arrivée des Britanniques dans la colonie et la façon dont ils vont, bien souvent inconsciemment, transformer le rapport des Canadiens aux relations amoureuses. Marsan soulève ainsi l’épineuse question des mariages mixtes et montre, parallèlement, le contrôle croissant de l’Église catholique sur les cœurs de la vallée du Saint-Laurent. Il expose également l’évolution des mœurs au cours de cette période. Au contact des Britanniques, les Canadiens en viennent à adopter une façon différente de concevoir leur logis et favorisent ainsi l’expansion de la vie privée. Ils leur empruntent également, au tournant du XIXe siècle, une fête appelée à devenir de plus en plus populaire – particulièrement à partir de la fin de ce siècle – du nom de la Saint-Valentin.
Certains passages permettent de mesurer à quel point les mentalités ont évolué depuis cette époque. Pensons entre autres à celui sur l’invention du divorce ou à celui sur « la paranoïa collective sur la masturbation provoquée par des auteurs qui se réclamaient de la médecine » (p. 156) pour ne nommer que quelques exemples. Un ouvrage dont les courtes sections d’une demi-page à quatre pages peuvent se lire l’une à la suite de l’autre ou au gré de la volonté du lecteur en fonction de ses intérêts.
Que sait-on de la sexualité humaine ? Où en sont nos connaissances sur le sujet à l’heure actuelle? Cet ouvrage, qui rassemble une quinzaine de textes sur la question, explore le sujet avec beaucoup d’à-propos. Il se penche tantôt sur les dimensions médicales et légales de la chose, tantôt sur ses marges et les enjeux que soulève la recherche sur ce thème. On y découvre ainsi « les effets du savoir médical sur la sexualité » (p. 11). Celui-ci est éminemment genré comme le relèvent Hélène Martin, Raphaëlle Bessette-Viens et Rebecca Bendjama dans un chapitre sur les discours contemporains sur la chirurgie esthétique des organes génitaux et Charlotte Bauquier et Marie Préau dans un chapitre sur la vaccination contre les papillomavirus humains (VPH). Alors que les premières montrent qu’on juge les interventions visant à augmenter la taille du pénis peu pertinentes, mais qu’on accepte beaucoup plus aisément celles qui visent à effacer le passage du temps et de la maternité sur le corps des femmes, les secondes mettent en relief que les raisons pour lesquelles on se fait vacciner diffèrent selon le genre : les jeunes hommes le font dans le but de prévenir le cancer tandis que les jeunes femmes le font dans une perspective de santé sexuelle.
La partie nous entraînant aux marges de la normativité sexuelle est toute aussi intéressante, nous entraînant dans la mise en récit de l’homosexualité et du « queer » dans le monde muséal, dans les alcôves du BDSM et au croisement de la sexualité trans et de la sexologie pour ne nommer que quelques exemples. Si les trois premières parties s’avèrent particulièrement intéressantes (leurs chapitres d’une dizaine à une vingtaine de pages sont courts et accessibles malgré leur caractère pointu par moments), c’est la quatrième qui m’a le plus interpellé et, en particulier, le texte de Maxim Gaudette. Ce dernier nous entraîne dans les coulisses de la recherche sur le travail du sexe des hommes. Gaudette nous révèle entre autres les difficultés que pose le recrutement de sujets tout en s’interrogeant sur les motivations de ces derniers. Il se penche également sur son propre cas et montre bien les avantages et limites que représente la superposition des chapeaux qu’il porte puisqu’il incarne simultanément le chercheur, la personne-ressource « l’un des leurs » en raison de son identité queer.
Gail Dines, Pornland. Comment le porno a envahi nos vies, Herblay, Éditions Libre, 2020, 300 p.
Les travaux de la sociologue Gail Dines font jaser depuis la parution de Pornland: How Porn Has Hijacked our Sexuality en 2010. Certains applaudissent les critiques qu’elle adresse à l’industrie de la pornographie, d’autres lui reprochent d’avoir une vision tronquée de ce milieu. Il faut donc remercier les Éditions Libre de rendre ce texte accessible en français et de contribuer ainsi à nourrir nos réflexions sur le sujet. L’ouvrage de Dines met effectivement le doigt sur les nombreux problèmes que posent la pornographie depuis l’arrivée d’Internet. Il ne s’agit pas que de sexe comme le clament ses défenseurs, mais d’un « moyen d’érotiser la dynamique de domination/subordination qui est au cœur du patriarcat » (p. 17-18). En ce sens, ce pamphlet soutient que le rejet de la pornographie ne doit pas être assimilé à du puritanisme, mais plutôt au progressisme. Tout y passe : dans un plan thématique, l’auteure expose comment la pornographie contribue à normaliser un discours misogyne, cautionner des comportements violents, consolider des préjugés racistes, détruire l’intimité, voire flirter dangereusement avec la pédophilie.
Qu’on soit d’accord ou non avec l’auteure, on appréciera son style clair et accessible qui nous entraîne tantôt à l’Adult Entertainment Expo (le salon annuel de l’industrie pornographique), tantôt dans les salles de conférences des universités qu’elle a parcourues pour présenter ses recherches. Si je crois que le texte aurait gagné à être davantage actualisé pour mieux tenir compte de la manière dont YouPorn et PornHub sont venus bousculer l’univers de la pornographie au cours des dix dernières années, il n’en demeure pas moins pertinent pour mesurer l’ampleur de l’influence de cette industrie sur notre époque, la manière dont elle s’est immiscée dans la culture populaire et la façon dont elle nous conditionne inconsciemment à certains rôles et diverses attentes.