Trois essais sur la question de la mobilité

L’enjeu de la mobilité est sur toutes les lèvres depuis plusieurs mois à Québec. Il faut dire que le projet de réseau de transport en commun structurant que les citoyens réclament depuis plusieurs années ne laisse personne indifférent et fait l’objet d’une lutte politique sans merci entre la Ville de Québec et le gouvernement du Québec. Chéri(e) j’arrive vous suggère donc trois ouvrages pour réfléchir sur la question de la mobilité du tournant du XXe siècle à nos jours.
Guy Thibault, Les Fous du volant, Québec, GID, 2020, 192 p.
Dans cet ouvrage, Guy Thibault nous entraîne au tout début de l’histoire de l’automobile, à une époque où prendre la route relevait de l’aventure ! Après être brièvement revenu sur quelques randonnées épiques en Estrie, dans le coin de Stoneham, dans le parc des Laurentides et même à deux pas de Montréal, l’auteur nous fait revivre la toute première traversée du Canada en voiture. On y suit l’expédition du journaliste Thomas W. Wilby de la fin août 1912 au 18 octobre de la même année. Parti d’Halifax à bord d’une Reo, modèle Touring Special 1912, il affronte crevaisons, pannes, avancée en absence de route et bien pire encore. Dans les Rocheuses, son automobile se retrouve… tirée par des chevaux pour la sortir d’une zone particulièrement boueuse et difficile d’accès! Comme quoi, le cheval est alors loin d’avoir dit son dernier mot.
La dernière section – la plus volumineuse – nous entraîne dans un autre périple complètement fou de l’époque : la course Pékin-Paris de 1907. Cinq équipes s’y affronteront avec l’espoir d’être la première à franchir les 16 000 km qui séparent ces deux villes. Après bien des épreuves (la traversée du désert de Gobi, les embourbements dans les marécages et les plaines de terre noire de la Sibérie, un pont qui s’écroule et j’en passe), l’équipe italienne parvient à se distinguer et à atteindre Paris le 10 août 1907, 44 jours après son départ de Pékin.
Si l’automobile et l’autobus sont devenus, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, synonymes de liberté pour les classes moyennes, vélos, automobiles et avions l’étaient déjà pour une partie des femmes depuis la fin du XIXe siècle. Dans cette étude issue de sa thèse de doctorat, Catherine Blais analyse les possibilités d’émancipation que donnent ces moyens de locomotion aux femmes de la Belle époque à la Deuxième Guerre mondiale. En se basant sur le récit qu’on fait de l’expérience de ces femmes dans la littérature de l’époque, Blais explore la figure de la femme moderne et celle de la fugitive. L’époque est marquée par d’importants gains pour les femmes et certains d’entre eux sont intimement liés aux questions de mobilité. Une fois que les femmes se sont mises au pantalon pour faciliter leurs déplacements à vélo, la porte est ouverte à ce qu’elles le portent dans d’autres circonstances.
L’ouvrage permet de comprendre comment vélos, automobiles et avions incarnent alors un rêve d’émancipation pour les femmes tout en se servant de celles-ci pour leur commercialisation. Il y a effectivement de quoi faire rêver dans cette époque pionnière mettant de l’avant les pilotes automobiles Camille du Gast et Dorothy Levitt ainsi que les aviatrices Amelia Earhart et Harriett Quimby dans les magazines tout en présentant différentes héroïnes de fiction aux commandes de véhicules. Elles ne gagnent en effet pas qu’en liberté et en vitesse sur le siège du conducteur, mais aussi dans les mentalités et dans l’espace public. Un ouvrage qui permet de mesurer l’importance de la question de la mobilité dans l’affranchissement des femmes dans la première moitié du XXe siècle.
Les dernières années ont fréquemment amené les chauffeurs de taxi du Québec dans l’actualité avec l’ubérisation de leur métier. Il ne s’agit toutefois que d’un épisode parmi d’autres de la longue histoire du taxi dans la province si on en croit le sociologue Jean-Philippe Warren. En effet, son Histoire du taxi à Montréal nous révèle que les chauffeurs vont rapidement s’inscrire dans une lutte pour conserver des conditions de travail convenables lors de la Grande dépression. Leur aventure dans la métropole avait pourtant bien commencé : à l’arrivée du taximètre dans la ville, le taxi est un véhicule de luxe qui jouit d’un prestige certain. Toutefois, la surabondance de chauffeurs de taxi amène les compagnies à baisser leur salaire pour réduire les coûts et attirer des clients et entraîne une diminution de la qualité du service au détour.
Les années subséquentes demeurent riches en rebondissements et en revendications. Face à de nouvelles dégradations de leurs conditions de travail et à une concurrence jugée déloyale, les chauffeurs de taxi s’en prennent le 7 octobre 1969 à la compagnie Murray Hill qui détient le monopole de la desserte de l’aéroport de Montréal. Résultat ? Des centaines de milliers de dollars de dommage, une douzaine de blessés et un mort!
Warren aborde ensuite les contrecoups de la crise économique des années 1980 sur ce secteur d’activité et la montée du racisme à l’endroit des chauffeurs de taxi à l’heure où les Montréalais d’origine haïtienne se font de plus en plus nombreux à occuper ce métier. Il termine en s’attardant à l’impact de l’arrivée des nouvelles technologies dans l’exercice de la profession pour le meilleur (GPS) et pour le pire (Uber). Un chouette survol de l’histoire de Montréal depuis les années 1910 qui permet de mieux comprendre une des catégories sociales qui est intimement liée à l’effervescence de la ville, mais qu’on connaissait jusqu’alors trop peu.