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Trois livres en histoire des femmes à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes

par Alex Tremblay Lamarche, le 3 mars 2021 | Chéri-e j’arrive

Le 8 mars, comme à chaque année, est l’occasion de rappeler tout le progrès qui a été fait au cours des dernières décennies pour diminuer les inégalités qui existent entre les hommes et les femmes et mettre de l’avant l’ampleur du travail qu’il reste à faire pour améliorer les droits des femmes. Afin de donner un peu de perspective historique à l’événement, Chéri(e) j’arrive vous suggère trois livres sur l’évolution des droits des femmes au cours des deux derniers siècles.

 

Kristen Ghodsee, Pourquoi les femmes ont une meilleure vie sexuelle sous le socialisme, Montréal, Lux, 2020, 288 p.

Le titre de cet ouvrage a de quoi interpeller et pour cause! Il s’inspire des débats qui ont surgi à la suite de la parution de Red Hangover : Legacies of 20th Century Communism par l’anthropologue Kristen Ghodsee, en 2017. L’auteure y explorait les différences en matière de satisfaction sexuelle des femmes de l’Allemagne de l’Ouest et de l’Allemagne de l’Est pendant la Guerre froide. En 1990, à la question êtes-vous « heureuse » après l’amour, 52% des Allemandes de l’Ouest répondaient par l’affirmative alors qu’elles étaient 82% à le faire à l’Est (p. 194) ! Il y a donc de quoi se questionner et c’est ce  quoi s’emploie cet ouvrage.

Pour Ghodsee, le capitalisme nuit aux femmes et pas que sur le plan sexuel. En détricotant depuis 30 ans le filet social qui avait été mis en place à l’époque de la Guerre froide, les États-Unis ont précarisé la situation des femmes. Ce sont en effet sur elles que retombe le soin des aînés, des enfants et des malades lorsque l’État n’est plus là pour veiller sur eux. Qui plus est, dans un pays comme les États-Unis où 25% des femmes de moins de 65 ans ont accès à une assurance-maladie via leur conjoint, on comprend que leur marge de manœuvre est mince lorsque l’amour n’est plus au rendez-vous. Dans les circonstances, une vie sexuelle plus épanouie des femmes passe par une meilleure indépendance économique, de meilleures conditions de travail et un meilleur équilibre entre la famille et le travail.

Si l’auteure affirme d’entrée de jeu que la solution ne passe pas par un retour du communisme ou du socialisme tel que mis en application dans les pays du bloc de l’Est lors de la deuxième moitié du XXe siècle, les faits qu’elle expose plaident pour un rôle accru de l’État pour réduire les inégalités entre les hommes et les femmes. On gagnera donc à lire ce petit ouvrage accessible et bien vulgarisé pour mesurer le chemin parcouru au Québec depuis le dernier siècle et celui qu’il reste à faire pour que les relations intimes ne soient plus soumises à des considérations économiques.

 

Marilyn Randall, Les femmes dans l’espace rebelle. Histoire et fiction autour des rébellions de 1837-1838, Montréal, Éditions Nota bene, 2013, 435 p.

Les rébellions de 1837 et 1838 sont-elles une affaire d’hommes? C’est ce que l’on a longtemps pensé en s’intéressant aux Louis-Joseph Papineau, Jean-Olivier Chénier, François-Marie-Thomas Chevalier de Lorimier et autres chefs de file du mouvement. Or, les recherches menées par Marilyn Randall permettent de comprendre que les femmes y ont joué un rôle beaucoup plus important qu’on ne l’a longtemps estimé. Elles sont présentes dans le discours public comme le relève une analyse des journaux de l’époque. Leur appui aux patriotes est cité tant dans les journaux qui sont favorables aux patriotes que dans ceux qui s’y opposent. Alors que, dans les premiers, l’appui des « dames » est garant de la justesse de la cause du Parti Canadien, les manifestations féminines en faveur de ce dernier sont utilisés pour ridiculiser le mouvement par ses détracteurs dans les seconds. Certaines femmes, comme Hortense Globensky, prennent même les armes pour défendre leur propriété!

La correspondance des femmes révèle également qu’elles sont au fait de ce qui se passe et qu’elles n’hésitent pas à commenter l’actualité. Plusieurs s’inscrivent dans des réseaux au sein desquels on lit des lettres reçues et les commente. C’est notamment le cas de Julie Bruneau, épouse de Louis-Joseph Papineau, dont la pensée et l’action font l’objet de la deuxième section de l’ouvrage.

Enfin, si la contribution des femmes aux rébellions de 1837 et 1838 a repris une place dans la mémoire collective depuis les années 1990, c’est en grande partie grâce à la parution des deux tomes du Roman de Julie Papineau par Micheline Lachance (La Tourmente en 1995 et L’Exil en 1998). La troisième section du livre fait une belle place à l’engouement que cette saga a suscité et analyse plus largement comment les femmes se sont inscrites dans l’espace romanesque. Lachance n’est effectivement pas la première à mettre en scène les rébellions des patriotes dans des romans et Marilyn Randall permet de mieux voir comment elle s’inscrit dans la continuité de nombreux devanciers.

 

Jimmy Thibeault, Michael Poplyansky, Stéphanie Saint-Pierre et Chantal White dir., Paroles et regards de femmes en Acadie, Québec, Presses de l’Université Laval, 2020, 341 p.

On sait peu de choses de l’histoire des femmes en Acadie comme le rappelle les directeurs de cet ouvrage en introduction. Il existe certes quelques études sur la question, mais celles-ci sont encore trop peu nombreuses alors que le sujet est plus que jamais d’actualité. Ce collectif, issu d’un colloque tenu à l’Université Sainte-Anne en 2015, propose donc 12 textes sur  « l’apport des femmes aux grands questionnements de la société acadienne » (p. 9) afin de nourrir les réflexions sur le sujet.

On y apprend entre autres que la place des femmes dans les ouvrages généraux sur l’histoire de l’Acadie demeure minime puisqu’ils sont axés sur un récit collectif nationaliste et identitaire. Les Acadiennes peinent à s’y inscrire parce qu’on y met principalement l’accent sur des activités masculines telles que la pêche, l’agriculture et la coupe de bois. Il faut donc aller vers des études plus spécialisées – notamment les mémoires et les thèses de maîtrise de l’Université de Moncton – pour en apprendre plus sur l’histoire des femmes en Acadie comme le révèle Phyllis E. LeBlanc dans la contribution qu’elle signe dans cet ouvrage.

Cette spécificité s’observe également dans la sphère politique comme le révèle Michael Poplyansky dans son article où il compare la trajectoire du Parti Québécois et du Parti Acadien. Alors que les enjeux féministes seront régulièrement abordés dans le premier et qu’on y verra plusieurs féministes d’envergure s’y engager, le second paraît peu préoccupé par ces questions. Son néonationalisme « s’inscrit davantage dans la continuité que dans la rupture » (p. 94). Dans ce contexte, la femme y est garante de la transmission de la langue et de la culture et la lutte pour la contraception ou le droit à l’avortement ne paraît pas être un enjeu prioritaire aux yeux des membres du Parti Acadien.

À titre d’information, l’ouvrage est accessible gratuitement en ligne.