Trois livres qui explorent l’histoire de l’homosexualité et de la construction de la masculinité au Québec

La Journée mondiale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie est l’occasion de mesurer le progrès parcouru au cours des dernières décennies et celui qu’il reste à faire pour lutter contre les discriminations basées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Afin d’en apprendre plus sur la question et de contribuer à démystifier le sujet, Chéri(e) j’arrive vous propose trois suggestions de lecture qui abordent de près ou de loin l’histoire de l’homosexualité et de la construction de la masculinité au Québec.
Si le Québec est un endroit où l’homosexualité est autant acceptée et où on lutte avec autant d’ardeur contre l’homophobie c’est en grande partie grâce à Laurent McCutcheon. Moins connu des milléniaux que de leurs aînés, McCutcheon est pourtant une figure qui gagne à être (re)découverte et mise de l’avant. Né en 1946 à Thetford Mines à une époque où les homosexuels ne disposaient ni de modèles ni de lieux où pouvoir se rencontrer hors des grands centres urbains, McCutcheon va tout au long de sa vie contribuer à cette révolution tranquille rose. Son parcours rappelle effectivement que des gestes qui sont aujourd’hui banaux pour plusieurs – rencontrer un.e partenaire, afficher son homosexualité au sein de sa famille ou de son milieu de travail, voire être homosexuel tout simplement – ne l’étaient pas il y a à peine quelques décennies. L’homosexualité était non seulement considérée comme une maladie mentale, mais elle était en plus criminelle. Les hommes qui désiraient rencontrer d’autres hommes étaient contraints à le faire en faisant du pouce et le maire de Montréal n’hésitait pas à demander aux policiers de « « nettoyer » sa ville de ce qui lui donnait – selon lui – une mauvaise image » (p. 59).
En plus de s’afficher avec son compagnon – autant au sein de sa famille qu’auprès de ses collègues – et de devenir ainsi un modèle pour plusieurs, McCutcheon s’est activement engagé à lutter contre l’homophobie. Cela a commencé en manifestant contre les descentes policières dans le quartier gai le 22 octobre 1977 et s’est poursuivi au sein de Gai Écoute, organisme qu’il a présidé de 1982 à 2013. Alors qu’on n’y comptait que trois plages horaires de 3 heures par semaine de disponible pour aider les jeunes qui se posaient des questions sur leur orientation sexuelle à ses débuts, l’organisme est entré dans les écoles sous sa direction en plus de mener de larges campagnes de sensibilisation qui ont contribué à changer les mœurs. Parallèlement, il a été à la tête de la campagne menant à l’adoption de la Loi concernant les conjoints de fait entrée en vigueur le 16 juin 1999, créé la Fondation Émergence en 2000 et mis sur pied la première journée nationale contre l’homophobie en 2003 (deux ans avant qu’elle ne soit officiellement instituée). Un parcours inspirant qui gagne à être connu.
Tout au long de sa carrière, la géographe Sherry Olson s’est intéressée à la façon dont les humains habitent des territoires dans le temps long. Ses travaux en géographie puisant autant en études urbaines qu’en histoire en ont fait une sommité en la matière. Cet ouvrage, publié en son honneur, réunit sept textes qui s’inscrivent dans le sillage de ses travaux, un bref retour sur sa carrière ainsi qu’une liste de ses contributions.
En sus des contributions sur la ségrégation raciale à Chicago, l’impact environnemental de la colonisation en Nouvelle-Zélande, le renouvellement des populations urbaines à Trois-Rivières, les modèles matrimoniaux de Québec, les différences ethnoreligieuses dans l’accès à la propriété à Montréal et l’exploitation d’un hôtel par une femme au XIXe siècle, on compte un chapitre sur l’histoire du quartier gai et des espaces habités par la communauté gaie à Montréal. Son auteure, Julie A. Podmore, y montre comment ces lieux ont évolué à travers le temps. Après avoir été aux marges de la cité à proximité du Redlight, ils se déplacent vers l’est pour finalement se dématérialiser avec l’arrivée d’Internet et l’acceptation de l’homosexualité. Après s’être cachée pendant plusieurs années, puis avoir investi un quartier auquel elle a donné une personnalité, la communauté gaie en est venue à se diffuser un peu partout dans la ville.
Après avoir inscrit le quartier gai de Montréal dans une perspective plus large, Podmore se penche sur trois moments de l’histoire du quartier : l’élection de Raymond Blain comme conseiller municipal dans Saint-Jacques en 1986, le désenclavement de la parade de la fierté gaie du quartier en 1993 et la remise en question du travail du sexe à cet endroit autour de l’an 2000. Ce faisant, on voit comment la communauté gaie partage cet espace avec le reste de la ville.
Depuis la parution de l’ouvrage fondateur de Claude Galarneau sur les collèges classiques en 1978, peu de chercheurs s’étaient penchés sur cet univers. Au mieux avait-on vu quelques monographies paraitre sur certains établissements. En choisissant de se pencher sur cette institution en tentant de comprendre sa place dans la formation de l’identité masculine, Louise Bienvenue, Ollivier Hubert et Christine Hudon apportent une contribution significative à notre compréhension du collège classique.
L’ouvrage, divisé en quatre sections, rassemble des articles précédemment publiés et des contributions originales qui permettent de comprendre comment ces lieux d’enseignement ont contribué à former des générations d’hommes au Québec pendant plusieurs centaines d’années. La première partie déconstruit l’image d’Épinal qui s’est peu à peu imposée autour du collège classique en montrant qu’ils ont été des lieux de mixité sociale dans une certaine mesure et qu’il y avait également des préoccupations économiques en ces lieux contrairement à ce qui a été longtemps affirmé. La seconde s’intéresse aux acteurs de cet établissement. Les auteurs s’y penchent sur les maîtres et les étudiants, mais aussi sur les femmes qui assuraient la tenue des lieux.
La troisième partie porte quant à elle sur la construction du modèle masculin. Christine Hudon et Louise Bienvenue y exposent les multiples facettes que peuvent prendre les solides amitiés qui se créent dans en ces lieux. Les amitiés particulières sont craintes par les parents et les maîtres et couramment critiquées par les élèves eux-mêmes dans les journaux étudiants et leurs discours. N’empêche, à l’heure où ces adolescents s’éveillent à la sexualité dans un univers où les femmes sont « à la fois absentes et obsédantes », il arrive que des rapprochements aient lieu. Les collèges classiques sont également témoins de « chatteries », ces amitiés qui naissent entre un nouvel élève et un confrère plus vieux le prenant sous son aile. Si ces relations s’avèrent souvent platoniques, elles peuvent donner lieu à certains quiproquos comme le révèlent Hudon et Bienvenue. Enfin, la dernière partie met en relief la mémoire du collège classique en analysant notamment les réseaux d’anciens et les témoignages de ceux-ci.