Trois ouvrages pour mieux comprendre les mouvements de colère aux États-Unis
par Alex Tremblay Lamarche
Aujourd’hui, Chéri(e) j’arrive vous propose quelques suggestions de livres pour mieux comprendre les mouvements de colère aux États-Unis en marge des événements qui se sont déroulés au Capitole le 6 janvier dernier. Même si ces trois ouvrages ne traitent pas directement de ce qui s’est passé à la veille de l’investiture de Joe Biden, ils offrent chacun à leur manière une occasion de remettre le problème en perspective et de mieux le comprendre.
– La mémoire rompue. Les défis de la coexistence confessionnelle au consulat lyonnais (1563-1567) d’Ariane Godbout (https://www.pulaval.com/produit/la-memoire-rompue-les-defis-de-la-coexistence-confessionnelle-au-consulat-lyonnais-1563-1567) Une foule en colère de 1 200 personnes qui, au cours d’une nuit, va réussir à s’emparer d’une des villes les plus importantes du pays et à en devenir maître. Le gouverneur des lieux est alors absent et son second vraisemblablement gagné aux idées de cette foule en colère. Un scénario plausible dans les États-Unis des mois à venir après avoir vu comment certains émeutiers ont réussi à prendre le Capitole et les sympathies pour l’extrême droite de la part de plusieurs élus et policiers en place ? Peut-être (mais on ne l’espère pas!), mais surtout ce qui s’est passé à Lyon, en France, au cour de la nuit du 29 au 30 avril 1562. On n’a alors, bien entendu, pas affaire aux partisans de Donald Trump et à ceux qui s’y opposent, mais à deux autres forces en présence : protestants et catholiques. Depuis les débuts de la réforme, il existe une tension entre les deux groupes et Lyon, qui est l’une des principales places financières du royaume de France, en est la proie. C’est une ville proche de la Suisse qui est l’un des principaux foyers de diffusion du protestantisme. En même temps, elle appartient au très catholique royaume de France (dans lequel on voit tout de même plusieurs pans importants de la société se montrer en faveur du protestantisme). Après avoir mené la ville pendant un an, les protestants doivent toutefois se rendre et commence alors une délicate période de cohabitation entre protestants et catholiques. Comment gouverner ensemble? Comment réussir à imposer son pouvoir lorsqu’on est protestant, mais que huit des douze consuls qui gouvernent la ville sont catholiques? Quelle importance vont revêtir les lieux de pouvoir? Les rituels catholiques qui étaient jusqu’alors un ciment de la vie sociale peuvent-ils continuer à l’être alors qu’on demande aux dirigeants d’y participer et que certains sont protestants? Un chouette retour dans le temps pour comprendre des problèmes bien d’actualité!
– Droitisation et populisme : Québec et États-Unis de Frédéric Boily (https://www.pulaval.com/produit/droitisation-et-populisme-canada-quebec-et-etats-unis) On a beaucoup parlé de la montée de la droite et de populisme au cours des dernières années. Avec la création du Parti populaire du Canada et, surtout, l’avènement de Donald Trump, on a l’impression que ces enjeux sont plus que jamais d’actualité. Or, ils ont des racines beaucoup plus lointaines comme le montre le politologue Frédéric Boily dans cet essai. Ce populisme est l’apanage des fermiers qui s’imposent contre une élite politique dès la fin du XIXe siècle. Qui plus est, le populisme n’est pas propre à la droite. Il est aussi le fait de figures politiques plus au centre, voire à gauche. Les anciens présidents Jimmy Carter, Ronald Reagan et Bill Clinton se sont tous revendiqués à un moment ou un autre de cette étiquette pour s’opposer au pouvoir politique déjà en place et au clivage libéral/conservateur selon Boily. Au Canada, cette montée du populisme et de cette volonté de proposer une « troisième voie » s’est incarnée dans l’aventure créditiste et, plus récemment, au Québec, dans la montée de l’ADQ, puis l’avènement de la CAQ. Le populisme n’est donc pas en soit négatif. C’est ce qu’on en fait et les idées qu’il porte qui peuvent l’être. Quant à la droite, sa « montée » est plus ancienne. Frédéric Boily en isole deux phases : une première entre 1980 et 2008 marquée par une volonté d’assainissement des finances publiques qui est portée par Ronald Reagan, Margaret Thatcher et Brian Mulroney et une seconde depuis 2008 qui est marquée par la fin de l’anticommunisme, la montée d’Internet et, malheureusement, un repli identitaire faisant suite aux attentats du 11 septembre 2001.
– 1 % Reprendre le pouvoir face à la toute-puissance des riches de Vandana Shiva (https://www.ruedelechiquier.net/essais/238-1-.html) Il est dommage d’entendre beaucoup de critiques infondées sur Bill Gates à l’heure actuelle alors que l’essayiste Vandana Shiva nous donne bien des raisons appuyées par des faits et étudiées de remettre en question le pouvoir dont lui et les milliardaires jouissent à l’heure actuelle sur la planète. Son ouvrage est donc le bienvenu pour recentrer les débats qui ont cours à l’heure actuelle et mieux comprendre comment le capitalisme est en train d’étendre ses tentacules sur bon nombre d’aspects de nos vies. Vandana Shiva dénonce notamment dans cet ouvrage le fait que les grandes entreprises sont tranquillement en train d’appauvrir les travailleurs (en délocalisant leurs usines et en faisant du lobbying pour favoriser la libre-circulation des biens) tout en s’arrogeant la propriété du vivant. En isolant certaines parties de semences ou en modifiant génétiquement certaines plantes (voire certains animaux), ces entreprises en viennent à pouvoir acheter la propriété intellectuelle du vivant et à prendre de plus en plus de pouvoir. Les fermiers qui semaient jusqu’alors une culture donnée ne peuvent plus procéder comme avant parce que les semences qu’ils utilisaient sont dorénavant brevetées et fort coûteuses. Qui plus est, ces entreprises en viennent à étendre leur pouvoir via ce que Vandana Shiva appelle le « philantrocapitalisme ». Les dons qu’elles font à diverses collectivités sont certes louables, mais ils permettent d’étendre leur sphère d’influence. Le fonds de développement agricole pour l’Afrique permet ainsi d’imposer aux fermiers locaux l’utilisation d’OGM, les dépenses faites en informatique permettent de rendre des populations qui se passaient de ces technologies dépendantes à celles-ci. Bref, on en vient à contourner la démocratie en passant par la philanthropie. Un essai particulièrement pertinent pour comprendre la colère de bon nombre de manifestants à l’heure actuelle et pour donner à certains d’entre eux des munitions plus pertinentes pour s’en prendre à Bill Gates.